OPPOSITION SORCELLERIE ET DROIT PÉNAL

Au Moyen-âge en Europe on pratiquait la sorcellerie. Cela était puni par l'église. Lorsque l'on savait qu'une personne avait un rapport avec la sorcellerie on la brûlait. C'est ce qui arriva à Jeanne d'Arc, elle se fit brûler comme sorcière car elle avait entendu des voix. Ce fut le cas également en Afrique.
En effet, dans la plupart des sociétés traditionnelles africaines, la sorcellerie était considérée comme un crime et punie comme tel (la loi de talion). Aujourd'hui, ces coutumes sont abolies ou tombées en désuétude. Mais la sorcellerie continue de faire parler d'elle : à tort ou à raison, des morts, des maladies et bien d'autres malheurs lui sont imputés (Propos de Fodjo Kadjo ABO, Magistrat).
Les Etats vont donc se saisir de cette question en interdisant cette pratique et opter pour une sanction pénale. Le droit pénal est la branche du droit qui pose les interdits fondamentaux et prévoit les sanctions en cas de transgression de ces interdits. Parmi les interdits fondamentaux se trouve la sorcellerie.
L'article 205 du code pénal ivoirien puni la sorcellerie: "Est puni d'un emprisonnement d'un à cinq ans et d'une amende de 100.000 à 1.000.000 de francs, quiconque se livre à des pratiques de charlatanisme, sorcellerie ou magie, susceptibles de troubler l'ordre public ou de porter atteinte aux personnes ou aux biens."
L'article précité interdit le charlatanisme, la sorcellerie ou la magie. Dans le sens commun, la sorcellerie est une opération magique pratiquée par des gens que l'on croit en liaison avec le diable en vue de mener des actions malveillantes contres des personnes, des biens. En d'autres termes des personnes qui recherchent la victoire du mal sur le bien (sans pour autant préétablir une définition assez claire du mal mais aussi du bien car étant des conceptions trop subjectives). Ces actions malveillantes seraient pratiquées par les sorciers et les sorcières. Comment déterminer des actions malveillantes sans pour autant mettre à mal le principe de laïcité. je rappelle que cette pratique était sanctionné en Europe à une époque ou il n'existait pas une séparation entre l'église et l'Etat. Les procès en sorcellerie se faisaient donc à l'aune du droit canonique ce qui facilitait la conception et la répression car le droit canon étant lui même parfois assez abstrait sur certains concepts. La répression de la sorcellerie est donc pour les européens une affaire religieuse et non étatique. Dès lors avec l'avènement de la laïcité, l'on va assister progressivement à la décriminalisation de la sorcellerie. En France, cette décriminalisation a été permise par l'édit de juillet 1682, après une longue action juridique du Parlement de Paris. La sorcellerie n'est alors plus considérée comme un crime pour la justice française.
Il semble difficile d'obtenir une définition juridique de ce concept qui relève généralement de l'irrationnel et qui est parfois difficile à caractériser et à réprimer en raison de ce que le droit pénal est un droit d'application stricte qui exige une qualification et une interprétation ne souffrant d'aucune contestation. Dès lors comment qualifier et interpréter un concept aussi abstrait, qu'irrationnel.
C'est pour cela que pour le magistrat Fodjo Kadjo ABO : « Un individu a beau être un sorcier redoutable, ses actes ne peuvent l'exposer à des condamnations pénales que s'ils sont de nature à troubler l'ordre public ou à porter atteinte aux personnes ou aux biens. En revanche, celui qui, sans être un sorcier, commet de tels actes risque des sanctions pénales ». Pour illustrer ces propos, le magistrat nous donne l'exemple qui suit : « Supposons un sorcier avéré qui jette des sorts par des pratiques magiques ayant lieu dans le plus grand secret. Il est dénoncé par un diseur de bonne aventure qui le rend responsable de la mort d'une ou de plusieurs personnes. Il ne saurait être pénalement inquiété parce qu'on ne peut pas établir qu'il a commis des actes concrets de nature à troubler l'ordre public ou à porter atteinte aux personnes ou aux biens.
Imaginons en revanche que, voulant avoir une promotion, vous allez voir un marabout qui vous prescrit de faire vos vœux sur un œuf et de le jeter à l'entrée de votre maison. Par inadvertance, l'œuf tombe devant la porte de votre voisin qui vous surprend. Pensant que vous voulez lui jeter un sort, il vous prend à partie et une bagarre s'ensuit. Bien que n'ayant pas été commis dans une intention malicieuse, votre acte vous expose à des sanctions pénales parce qu'il a eu pour effet de troubler l'ordre public. De même si, en voulant vous guérir d'une affection par des breuvage un charlatan vous cause des troubles de santé, il pourra être pénalement inquiété parce que son acte a porté atteinte à une personne ».
Le magistrat va plus loin dans ces propos : « D'ailleurs, comment peut-on réprimer la sorcellerie sans commettre des injustices ? Dans l'immense majorité des cas, les accusations de sorcellerie sont fondées sur des bases non rationnelles ».
En plus du problème de qualification et d'interprétation stricte de la sorcellerie en matière pénale , il arrive parfois que des pressions peuvent influer à mettre au grand jour des faits présumés de sorcellerie ou de charlatanisme.
Pour illustrer cela référons nous à un cas de figure, nous retiendrons la polémique soulevée en 2007 en Côte d'Ivoire lorsqu'un ex-adepte du vodou converti au pentecôtisme accusa plusieurs pasteurs pentecôtistes de recourir à la sorcellerie. Le retentissement de « l'affaire Béhanzin » [Pasteurs et sorciers en procès. L'affaire Béhanzin (Côte d'Ivoire) Sandra Fancello Dans Politique africaine 2011/2 (N° 122), pages 121 à 143 ]. En effet, Le témoignage de Béhanzin mettait en cause plusieurs pasteurs parmi les plus connus du pays, qu'il accusait d'avoir eu recours à ses services du temps de ses pratiques vodou. L'intention affichée de Béhanzin visait à dénoncer les pratiques occultes de certains pasteurs ivoiriens, et sa liberté de parole - qui l'incriminait également misait sur l'assurance de l'absolution par la conversion chrétienne. Arrêté fin juin dans un hôtel de Bassam où il s'était réfugié, Béhanzin fut déféré devant la justice. Au terme du procès, en juillet 2007 et fut condamné à cinq ans de prison ferme pour « charlatanisme », « diffamation » et « trouble à l'ordre public ». En effet ce dernier fut condamné sans qu'une enquête ne soit menée pour vérifier ses dires, surtout que les confessions étaient de nature à créer l'émoi général en raison de leur gravité aussi bien au regard des faits allégués mais aussi de la qualité des personnes accusées (artistes, footballeurs, hommes religieux, politiciens...etc.).
La répression de la sorcellerie offre toutefois un exemple assez rare d'infléchissement jurisprudentiel du droit pénal vers une répression plus douce, et même quasiment inexistante.
Bien qu'il existe un dispositif pénal sanctionnant la sorcellerie, celui-ci ne saurait être réellement efficace dans la mesure où le concept « sorcellerie » sort du champ rationnel. De plus le droit pénal est un droit pragmatique fondé sur des preuves réelles et non éventuelles ; des preuves qui en matière de sorcellerie restent difficilement évaluables et déterminables. L'opposition droit pénal « droit concret » et la sorcellerie « concept irrationnel » semble figé à jamais. Dans ce sens, le droit apparaît comme grand absent des procès en sorcellerie.
VINCENT DE PAUL ADAI.